Quand on s’intéresse un peu à la thématique des transidentités, il n’est pas rare de lire, par exemple, qu’il y a une « épidémie trans », qu’il « y en a de plus en plus ». Ce sont des propos tenus sur les réseaux sociaux, mais également par des personnalités publiques.

D’où vient l’idée qu’il existe une « épidémie » concernant les personnes trans ? Cette épidémie existe-t-elle vraiment ? Pourquoi l’emploi d’un tel mot ? Quelles sont les conséquences de cet argument ? Cet article va tenter de répondre à ces différents questionnements.

« Épidémie » et le danger derrière ce mot

Dans un premier temps, il est intéressant de s’intéresser à l’emploi du mot épidémie. Si l’on consulte sa définition auprès du dictionnaire Le Robert en ligne, nous pouvons trouver plusieurs choses. Dans un premier temps : « Apparition et propagation d’une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes […] ». L’emploi d’« épidémie », marqué d’un aspect médical et négatif, n’est, bien sûr, pas anodin pour dépeindre les personnes trans sous un mauvais jour. Le lien que font certaines personnes entre transidentités et maladies n’est remis en question que depuis récemment. Par exemple, ce n’est qu’en 2019 que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) retire les transidentités du chapitre sur les troubles mentaux et comportementaux de sa Classification Internationale des Maladies[1]. Or, sous-entendre que les personnes trans ont des troubles mentaux engendre de nombreuses autres discriminations, comme par exemple obliger les personnes trans à subir une stérilisation avant de pouvoir modifier leur marqueur de genre sur leur carte d’identité[2], ce qui était encore le cas en Belgique avant 2018[3].

Le mot se définit également, dans un second temps, par : « Ce qui touche un grand nombre de personnes en se propageant ». Il est relativement difficile de trouver des chiffres exacts concernant le pourcentage ou le nombre de personnes trans dans le monde. Plusieurs pays ont cependant fait des analyses statistiques nationales. Pour la Belgique, l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes démontre qu’entre 1993 et 2021, soit en 28 ans, 3.262 personnes ont fait une demande de changement de la mention officielle de leur sexe sur leur carte d’identité[4]. Le changement de la mention de sexe sur la carte d’identité est cependant loin d’être une condition sine qua non pour être transgenre. Un article du journal Le Soir affirme qu’« 1 à 3 % de la population adulte », sous-entendue mondiale, serait transgenre[5]. Aux États-Unis, il a été estimé en 2022 que 0,6 % de la population de 13 ans et plus était transgenre[6].

Augmentation ou meilleures acceptations des transidentités ?

Il est intéressant de noter que les chiffres présentés ci-dessus, certes peu élevés, sont en augmentation. Il semblerait, en effet, qu’aux États-Unis, la population transgenre âgée de 13-17 ans ait doublé entre 2017 et 2022, passant de 0,7 % à 1,4 %[7]. Cette augmentation, notamment chez les jeunes, peut cependant trouver une explication. Comme l’explique Cleo Madeleine, porte-parole d’un groupe de soutien pour personnes trans, « plus de visibilité et d’acceptation des personnes trans ont mené à une augmentation de jeunes qui se sentent à l’aise d’exprimer leur transidentité »[8]. Une plus grande acceptation de la transidentité permettrait, notamment pour des personnes mineures, de pouvoir plus rapidement mettre des mots sur leur identité de genre.

Côté média, il a été observé que de plus en plus de documentaires sur les personnes trans ont été diffusés, notamment sur des chaînes de grande audience[9]. Même constat au niveau des séries. GLAAD, une association qui analyse la représentation des personnes LGBTQIA+ dans les séries télé, estime que 32 personnages de fictions étaient trans ou non binaires sur l’ensemble des séries diffusées aux États-Unis à la télévision et en streaming en 2022-2023[10]. À titre de comparaison, en 2005-2006, il n’y en avait qu’une[11].

Le vrai problème : la transphobie

Il y a donc, certes, une plus grande représentation des personnes trans dans les médias, mais encore faut-il que ces représentations soient positives, car elles peuvent faire beaucoup de dégâts si ce n’est pas le cas. En effet, si le grand public se fait une mauvaise représentation des parcours trans et stigmatise ces communautés, cela peut mener à un manque d’opportunités pour les personnes trans, les empêchant ainsi de participer à la société (que ça soit via l’éducation, l’emploi, l’exclusion des services sociaux, de la santé, etc.) mais également à une augmentation de facteurs de risques (violences conjugales et sexuelles, problèmes de santé mentale et physique, pauvreté et sans-abrisme)[12].

Et c’est d’autant plus inquiétant que ces violences physiques, sexuelles et institutionnelles envers les personnes trans sont en augmentation. SOS Homophobie, en France, alerte : « [e]n 2022, le nombre de cas de transphobies qui nous ont été rapportés a augmenté de 35 % par rapport à 2020, 27 % par rapport à 2021. »[13].

Conclusion et perspectives

Il n’est pas rare de voir ou d’entendre qu’il y a « trop » de personnes trans, que cela consiste en une « épidémie ». Comme cet article le démontre, les chiffres ne vont pas forcément dans ce sens, le nombre de personnes trans restant minoritaire. Il est cependant difficile de trouver des données chiffrées en Belgique.

C’est à déplorer car cela ne permet pas de prendre la réelle mesure des vécus des personnes transgenres. Ce qui peut s’avérer problématique si l’on veut pouvoir quantifier et visibiliser les très nombreuses violences transphobes qui font pratiquement partie de leur quotidien.

Il est nécessaire de déconstruire les idées reçues en matière d’identité de genre et de sexualité, pour lutter contre la transphobie ambiante. C’est là que l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) a toute son importance !


Ce texte est un résumé d’une analyse rédigée par Margot Foubert, chargée de missions Sofélia, « « Une épidémie trans », vraiment ? », parue en septembre 2023 : https://www.soralia.be/wp-content/uploads/2023/09/Analyse2023-Epidemie-trans-vraiment.pdf


[1] GENRES PLURIELS, CIM-11 dépathologisation des identités transgenres, 28 mai 2019, https://tinyurl.com/nu9c3cxy

[2] DUFRASNE Aurore et al., Transgenres/Identités pluriel.le.s, Bruxelles, 2020

[3] SERVICE PUBLIC FÉDÉRAL JUSTICE, Nouvelle réglementation pour les personnes transgenres, https://tinyurl.com/32kf7d62

[4] VAN HOVE Hildegarde, Personnes transgenres ayant fait une demande de changement de la mention officielle de leur sexe en Belgique – 2022, Bruxelles, 2022, p. 2, https://tinyurl.com/e37fza38

[5] E.BI., « Entre 25.000 et 75.000 enfants trans en Belgique ? », Le Soir, 29 mars 2019, https://tinyurl.com/2p88kej2

[6] HERMAN, Jody L. et al., How many adults and youth identifies as transgender in the United States?, 2022, p. 1, https://tinyurl.com/2s4jmp7c

[7] GHORAYSHI Azeen, « Report reveals sharp rise in transgender young people in the U.S. », The New York Times, 10 juin 2022, https://tinyurl.com/yey6xjcc

[8] GENTLEMAN Amelia, « “An explosion”: what is behind the rise in girls questioning their gender identity? », The Guardian, 24 novembre 2022, https://tinyurl.com/2p9deevh

[9] LEXIE, « Pourquoi plus de femmes trans représentées ? », Instagram, 15 mai 2021, https://tinyurl.com/3anzpvy9

[10] DEERWATER Raina et al., Where we are on TV 2022-2023, pp. 37-38, https://tinyurl.com/y5cb9d3v

[11] GLAAD, GLAAD’s 12th Annual Diversity Study Examines 2007-2008 Primetime Television Season, p. 5,  https://tinyurl.com/y7upnhr4

[12] HUMAN RIGHTS FONDATION, « Dismantling a Culture of Violence », Human Rights Campaign Fondation, octobre 2021, https://tinyurl.com/yv7zn39t

[13] SOS HOMOPHOBIE, Rapport sur les LGBTIphobies 2023, Paris, 2023, p. 54, https://tinyurl.com/y526h6t5