A la demande de la majorité Vivaldi au niveau fédéral, un comité interuniversitaire multidisciplinaire indépendant s’est réuni afin d’évaluer la pratique et la législation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en Belgique. Après une année de travail, le rapport des expert·e·s académiques [1] qui ont été désigné·e·s par les rectrices·teurs des 7 universités belges a été présenté officiellement le 18 avril 2023 aux parlementaires. Une fois le rapport entre leurs mains, les 7 partis de la majorité au niveau fédéral ont mentionné vouloir poursuivre le travail sur la révision de la législation concernant l’IVG au Parlement, en Commission justice.

Ce rapport a été établi par des médecins (dont des gynécologues-obstétriciens), des juristes, des psychologues et des membres issus de la philosophie ou des sciences sociales, qui ont consulté des expert·e·s de terrain dont les Fédération de Centres de Planning familial actives en Wallonie et à Bruxelles. Il s’agit d’un rapport unique dans l’histoire de la Belgique qui met en lumière 25 recommandations dans le but de tendre vers plus d’autonomie de décision des femmes [2].

Dans son rapport, avant de formuler ses recommandations, le groupe d’expert·e·s rappelle le contexte dans lequel l’IVG est pratiquée en Belgique. Ainsi, la majorité des IVG sont pratiquées dans les centres extrahospitaliers qui sont structurés de façon assez différente dans la partie néerlandophone et francophone du pays. Du côté néerlandophone, les IVG sont effectuées dans 7 Centres spécifiquement dédiés à cette activité (les abortus centra) tandis que du côté francophone elles sont réalisées dans 33 Centres en charge aussi d’autres activités qu’on peut retrouver en planning (contraception, lutte contre les IST, éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, etc.). Un certain nombre d’IVG sont pratiquées en hôpital. Ces derniers peuvent notamment proposer une anesthésie générale. Celle-ci ne peut être prodiguée en centre extrahospitalier. La décision de pratiquer une IVG en milieu hospitalier dépend aussi du choix de le personne enceinte ainsi que de son état de santé.

Revenons sur 15 revendications phares émises par le comité d’expert·e·s

Inscrire l’IVG dans le cadre législatif des soins de santé

Actuellement, la loi encadrant l’IVG de 2018 maintient des sanctions pénales à l’égard des femmes et des médecins en cas de non-respect des conditions imposées par la loi. Ces sanctions pénales participent à la stigmatisation des femmes ainsi que des professionnel·le·s de santé pratiquant les IVG.

Selon le comité scientifique, « inscrire l’IVG dans le cadre législatif des soins de santé confirmerait le statut de l’acte d’interrompre volontairement une grossesse comme soin de santé et ferait bénéficier tous les acteurs (et en priorité les patientes) de l’en­semble des dispositions prévues dans les lois sur les soins de santé et renforcerait la certitude juridique. Les patientes seraient protégées par la loi relative aux droits du patient, impliquant par exemple que toutes les exigences d’information et de recueil du consentement éclairé s’appliqueraient, mais aussi par la loi relative à la qualité de la pratique des soins de santé (loi « qualité ») qui prévoit quant à elle un certain nombre de critères pour améliorer la qualité des soins ».

Supprimer le délai légal d’attente de 6 jours

Actuellement, un délai de 6 jours au minimum doit être tenu entre l’entretien préalable et l’IVG elle-même. Ce délai ne peut être diminué sauf s’il existe une raison médicale urgente pour la femme d’avancer l’interruption de grossesse.

Deux options de réforme légale sont proposées par le groupe d’expert·e·s :

  • Supprimer toute référence à un délai obligatoire « de réflexion ».
  • Instaurer une obligation de ne pas effectuer l’interruption le même jour calendrier que la première consultation.

La première option concernant la suppression de toute référence à un délai obliga­toire est celle qui a la préférence du Comité scientifique.

Dans les deux scénarios, les professionnel·le·s du secteur sont encouragé·e·s, à des fins de qualité des soins, à conserver un temps dédié à la prise de décision et à la prépara­tion, qui soit établi au cas par cas pour chaque femme enceinte.

Le groupe d’expert·e·s revendique l’application des obligations en matière d’information inscrites dans la loi relative aux droits du patient afin de garantir le consentement éclairé du patient à l’égard de l’in­tervention.

Autoriser explicitement au personnel soignant à pratiquer un avortement à la suite d’une demande émanant d’une mineure capable de jugement quant à ses propres intérêts, sans informer les parents et/ou demander leur consentement

Cette autorisation s’accompagne d’une recommandation de bonne pratique pour les professionnel·le·s de la santé consistant à prendre en compte les intérêts de la·du mineur·e à ne pas être seul·e à affronter l’épreuve. Cela passe par l’incitation à impliquer, si ce n’est un parent ou le partenaire, une autre personne de confiance en toute confidentialité et à s’assurer de la continuité du suivi de la·du mineur·e également après l’interruption de grossesse.

Conserver la possibilité légale d’interruption de grossesse pour des raisons médicales graves

Comme garantit par la loi actuelle relative à l’IVG, les expert·e·s recommandent de conserver la possibilité légale d’interrompre une grossesse pour des raisons médicales graves, quel que soit l’âge de la grossesse.

Préciser qu’en cas d’avortement pour cause de mise en péril grave de la santé de la femme enceinte, le terme « santé » inclut aussi la santé mentale

Le groupe d’expert·e·s propose un exemple de formulation : « Une grossesse peut être interrompue (…) lorsque cette mesure est jugée appropriée en raison d’un péril grave pour la santé physique et/ou mentale de la femme enceinte. »

Décriminaliser explicitement l’obtention ou la pratique par une femme enceinte d’une IVG en violation de la loi

Cela implique de préférer des sanctions spécifiques à l’avortement dans la loi relative à l’IVG plutôt que l’application d’infractions pénales générales pour les praticien·ne·s de l’avortement qui enfreindraient les termes de la loi. Une diversification des sanctions selon la nature et la sévérité des limitations légales est recommandée.

Maintenir un débat citoyen et rester vigilante quant aux évolutions liées aux droits reproductifs et sexuels

Le Comité scientifique considère qu’une Constitution plus explicite sur le droit à l’avortement est possible, mais indique que, selon la formulation choisie, ce droit peut encore faire l’objet d’ingérences juridiques et politiques plus ou moins importantes.

Renforcer les dispositions actuelles sur la contraception comme moyen de prévenir les grossesses non désirées

Le Comité scientifique émet plusieurs pistes à ce sujet :

  • Discuter de la contraception pendant la consultation préalable à un avortement, en tant que mesure préventive.
  • Étendre le remboursement de la contraception au-delà de 25 ans, en particulier pour les contraceptifs à longue durée d’action (LARC). Le rapport des experte·s entend par LARC, le DIU (stérilet) au cuivre, le DIU (stérilet) hormonal ou les implants.
  • Faciliter l’utilisation de contraceptifs à longue durée d’action en proposant la pose gratuite après les procédures d’avortement, et la pose gratuite de dispositifs intra-utérins comme contraception d’urgence.
  • Appuyer la résolution du Sénat visant la dispensation de la contraception d’urgence par les organismes chargés de l’accueil, l’information et l’accompagnement des personnes dans le cadre de la vie affective et sexuelle.

Former des praticienne·s de santé pratiquant l’avortement

Le groupe d’expert·e·s a mis en évidence dans son rapport la pénurie actuelle de prestataires de services d’avortement. Dès lors, il recommande d’adopter un socle commun de connaissances sur l’avortement comme base obligatoire pour tout·te·s les étudiant·e·s en médecine (comprenant des connaissances sur l’histoire et le contexte psycho-social de l’avortement, des considérations juridiques et de santé publique et des données générales sur l’avortement en Belgique).

En parallèle, le comité encourage la mise en place d’incitants financiers pour augmenter l’attractivité à l’égard des prestataires de services d’avortement ainsi que la mise en place de nouvelles structures médicales avec des praticien·ne·s de santé formé·e·s à l’avortement du deuxième trimestre en cas d’allongement de la durée maximale de grossesse pour l’avortement à la demande.

Pour finir, il est recommandé d’employer des praticien·ne·s ayant une expertise et une expérience préexistantes en matière d’avortement du deuxième trimestre et encourager la formation à l’étranger pour acquérir l’expertise nécessaire.

Établissements pratiquant l’avortement et leurs missions respectives

Au sein des centres d’avortement du premier trimestre, il est recommandé de :

  • Maintenir les centres d’avortement extrahospitaliers existants ainsi que leur missions actuelles (soins relatifs à l’avortement, prévention des grossesses non désirées, dépistage des IST, etc.).
  • Faciliter les possibilités de sédation légère dans les centres d’avortement extrahospitaliers, à condition que des critères structurels soient respectés. Les critères de certification pourraient inclure l’exercice d’un nombre minimum de procédures d’avortement par an dans le centre, la formation nécessaire des membres de l’équipe, la présence d’équipements médicaux spécifiques, la présence d’un prestataire de soin exclusivement en charge de la sédation, etc.

Concernant la mise en place de Centres d’avortement du deuxième trimestre :

En cas d’allongement de l’âge gestationnel maximal pour un avortement, le comité scientifique recommande de mettre en place de nouveaux établissement spécifiquement dédiés à l’avortement à partir de 12 semaines post-conception (14 SA), soit dans des centres adjacents à un hôpital, soit dans de nouvelles unités hospitalières. Cette condition est motivée par la possibilité d’offrir un équipement plus lourd, des anesthésies générales et la possibilité de passer la nuit dans un service spécialisé. Les critères de qualité requis pour les établissements pratiquant l’avortement au deuxième trimestre comprennent également un niveau d’expertise des soins liés à l’avortement fournis par une équipe multidisciplinaire, au niveau psychosocial (psychologue, assistant·e social·e) et médical (gynécologue ou médecin généraliste formé à l’interruption du second trimestre, anesthésiste, infirmière·ier, sage-femme…). La coopération étroite avec les hôpitaux et la possibilité d’un transfert rapide en cas de complications constituent d’autres critères importants.

Le Comité scientifique préconise de créer des établissements spécifiques, sous responsabilité ministérielle. Sur la base des volumes estimés, un nombre de trois établissements est recommandé. La répartition des infrastructures doit être équilibrée en tenant compte de la couverture territoriale et des besoins quantitatifs, dans un souci d’accessibilité. Les soins doivent être centralisés dans la mesure du possible afin de garantir une charge de travail appropriée et de faire en sorte que ces centres spécialisés puissent maintenir et approfondir leur expertise.

Proposer des services d’IVG à distance aux patientes qui le souhaitent

Cette recommandation sous-entend d·de :

  • Proposer une consultation psychosociale à distance dans la mesure où il est possible de garantir la même qualité de soins qu’une consultation en personne.
  • Offrir un suivi à distance pour l’interruption médicamenteuse de grossesse, permettant à la patiente de suivre la deuxième étape de la procédure d’avortement à domicile, avec la possibilité de conseils par téléphone depuis les centres d’avortement.

Dans tous les cas, chacune des étapes de la procédure (en particulier la deuxième étape d’un avortement médicamenteux : l’expulsion) doit aussi rester accessible en centre d’avortement.

Faciliter l’accès à l’avortement médicamenteux

Cette recommandation implique de faciliter l’accès à la mifépristone et au misoprostol en simplifiant les procédures de distribution, d’enregistrement et de contrôle, ce qui nécessite de modifier l’arrêté royal du 07/05/2000 qui la réglemente et les conventions INAMI qui en découlent.

Améliorer le soutien des femmes ou couples après une interruption de grossesse pour cause d’affection médicale grave

Cette revendication sous-entend de soutenir les initiatives qui fournissent une assistance administrative, psychologique, juridique et sociale aux patients/couples qui interrompent une grossesse désirée après le diagnostic d’une affection médicale grave.

Garantir un accès à l’IVG d’un point de vue financier

Il apparait primordial de garantir un accès égalitaire et abordable aux soins liés à l’avortement pour toute personne enceinte résidant en Belgique, quel que soit son statut ou l’établissement où se déroule la procédure.

Le Comité Scientifique considère plusieurs options :

  • Certains membres du Comité proposent de rendre l’IVG gratuite, en réglant la procédure de financement entre l’autorité publique et les centres sans intervention de la personne ou de sa mutuelle (ce qui faciliterait la question de la confidentialité – voir plus bas) sur un mode semblable à celui en vigueur au Portugal.
  • Certains membres du Comité proposent de conserver le système de financement actuel, mais de faciliter l’accès à l’Aide Médicale Urgente (AMU) pour les soins liés à l’avortement en le reconnaissant comme un soin urgent comme proposé dans le mémorandum de Médecins du Monde, ce qui raccourcit le délai d’obtention de l’AMU et permet d’intervenir sans attendre la réponse du CPAS compétent.

Le coût de l’avortement pour la patiente doit être similaire à tous les stades de la grossesse, y compris en cas d’allongement de la durée maximale de la grossesse pour l’avortement à la demande.

Créer un site web au niveau fédéral qui centrale des informations objectives et complètes sur l’IVG et les structures disponibles qui le pratiquent

Ce site doit être facile à trouver et correctement référencé grâce à des mots-clés appropriés. Les sites web officiels du ministère de la santé, de l’INAMI, des hôpitaux, des centres d’avortement et des caisses d’assurance maladie doivent renvoyer à ce site principal.

Il est également important de mettre en place des campagnes d’information sur l’avortement au niveau national, mentionnant la situation légale et le type de structures proposant des avortements. A ce propos, une attention particulière devrait être accordée à la diffusion d’informations sur l’avortement auprès des groupes les plus vulnérables.

Source : Comité interuniversitaire multidisciplinaire indépendant en charge de l’étude et de l’évaluation de la pratique et de la législation sur l’interruption volontaire de grossesse, Etude et évaluation de la loi et de la pratique de l’avortement en Belgique. Synthèse et recommandations. Rapport académique à la demande de la majorité “Vivaldi” au niveau fédéral, mars 2023.

[1] Ce groupe d’experts a été assisté par 28 collègues répartis en 4 groupes de travail et par deux collaboratrices académiques.

[2] A plusieurs reprises le terme « femme » est mentionné dans cet article. Précisons que nous entendons par « femme », « toute personne ayant la possibilité biologique d’être enceinte ».

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Pour davantage d’informations sur l’avortement, consultez notre dossier thématique « Avortement ».

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